Arrivé à la radio tardivement et par hasard, Arnold Derek est
vite devenu l'une de voix marquante de la FM dans les années
1990. Après avoir été viré de Fun Radio, le trublion Arnold est
resté loin des micros durant 15 ans avant de revenir
discrètement à l'antenne. Aujourd'hui, il anime une émission de
divertissement culturel sur France Bleu en national, loin de son
image de grande gueule d'antan. Rencontre avec une légende
radiophonique…
A la rentrée 2016, en
recevant le dossier de presse de France Bleu, je découvre que LE
Arnold qui avait égayé mes soirées radiophoniques sur Fun Radio
prenait les commandes d'une émission entre divertissement et
culture sur France Bleu. La grande gueule aux longs cheveux
bouclés avait laissé la place à un animateur souriant mais
sérieux sur une radio adulte. Ayant oublié que nous avions tous
les deux mis une bonne quinzaine de bougies en plus sur nos
gâteaux d'anniversaire, j'ai voulu le rencontrer. Rendez-vous
était pris dans les locaux de France Bleu à deux pas de la
Maison de la Radio.
Il quitte la
Fnac pour Skyrock
Alors que beaucoup
d'animateurs de sa génération sont derrière le micro depuis
l'adolescence, Arnold Derek n'y passe qu'à l'âge de 21 ans sur
un concours de circonstance. Alors qu'il travaille au rayon
disques de la Fnac, une copine de fac qui anime une émission sur
Horizon FM (à Combs-la-Ville dans les Yvelines) lui demande s'il
connait des groupes de rock amateurs. Une semaine plus tard,
alors qu'il assiste à l'émission en studio, il ne peut
s'empêcher de prendre le micro : "Je ne sais pas pourquoi, au
lieu de me tenir à l'écart en restant sur le siège où elle
m'avait installé, j'ai pris un micro et j'ai parlé". Les
dirigeants d'Horizon FM l'entendent et lui proposent de rester.
Il commence comme chroniqueur et petit à petit, une fois à
l'aise derrière son micro, la station lui confie sa propre
émission. Il alterne ainsi radio le week-end et Fnac en semaine.
Mais
si "Horizon FM c'était cool", la radio est loin de chez lui et
coute cher en transports en commun au bénévole qu'il est. En
prime, Arnold commence à tourner en rond dans son émission.
Alors lorsqu'il tombe par hasard sur Canal 9 en parcourant la
bande FM, il postule auprès de la radio rock installée à
Montmartre. Il y reste durant quatre saisons dont trois aux
commandes de la matinale. Ainsi, pendant 3 ans, il va enchaîner
la matinale de canal 9 de 7h00 à 9h00 et son emploi de vendeur à
la Fnac de 9h30 à 19h00.
Peuleux : Comment
passes-tu du bénévolat sur Canal 9 à un poste d'animateur
rémunéré sur Skyrock ?
Arnold Derek :
L'assistante du directeur des programmes de Skyrock écoutait
Canal 9 et parle de moi. A l'époque, Skyrock cherchait des
nouvelles voix pour sa matinale qui ne les satisfaisait pas.
J'ai passé des essais comme d'autres candidats. Ils m'ont
retenu. Après une période d'essai estivale, ils me filent les
commandes de la matinale. Du coup, j'ai arrêté mon taf à la Fnac
pour ne faire que de la radio.
En 1994, après deux
saisons sur Skyrock, Arnold rejoint Fun Radio pour une émission
de libre-antenne. Il propose aussi une émission de cinéma à la
station. Lorsqu'il apporte le projet avec Laurent Weil comme
coanimateur, la station accepte. D'autant, que le spécialiste
cinéma de Canal+ vient gratuitement à l'antenne "pour s'amuser".
Nous avions
une liberté conséquente sur Fun Radio
Peuleux : Tu as aussi
participé aux "Débats de Gérard" sous différents pseudonymes,
c'était ton défouloir ?
Arnold
Derek : A 90%, les gens qui me retrouvent me parlent de Gérard
plutôt que de mon émission de libre-antenne ou de l'émission de
cinéma. Le truc qui est resté, ce sont les débats de Gégé… Les
"Débats de Gérard" ce n'était pas un défouloir car, à l'époque,
nous avions une liberté conséquente sur Fun Radio. C'était plus
le fait de faire autre chose en inventant des personnages
plausibles et de les faire exister, qu'ils plaisent aux gens.
Sur Fun, on nous demandait d'être à l'antenne comme dans la vie
avec nos défauts et nos qualités alors que dans les "Débats de
Gérard", tout le monde endossait une panoplie et jouait un rôle.
Moi, c'était Monsieur Masure et Trévor Jones. J'arrivais aussi à
un âge où je n'avais plus besoin de me défouler (rires).
Peuleux : Moi, je me
souviens plus du reste peut-être parce que j'avais finalement
décidé de dormir à cette heure là !
Arnold Derek : Et
bien merci d'être une exception et de te rappeler que j'ai fait
autre chose (rires) !
Peuleux : Je me
souviens aussi de ta longue chevelure bouclée !
Arnold Derek : Oui,
ça aussi, ça revient sur le tapis !
En 1998, suite à
l'arrivée d'une nouvelle direction, "s'en suit une grosse
charrette et je suis dedans". Axel Duroux est mis en place par
la CLT pour faire le ménage alors que la grille coute chère et
que les audiences patinent.
Arnold Derek : C'est
désagréable pour les gens qui partent mais il fait son boulot de
chef d'entreprise. D'un point de vue stratégique avec une vision
globale, je pense que c'était ce qu'il fallait faire.
Une diète
radiophonique de 15 ans
Ensuite, Arnold Derek
travaille pendant un an à Réservoir Prod, la société de
production de Jean-Luc Delarue, avec Florian Gazan qui animait
un jeu cinéma sur le câble. Puis, il part vers la presse écrite
pour parler cinéma. Il écrit pour CinéLive, Première, Studio,
GQ, version fémina…
Arnold Derek : Cela
m'a permis de beaucoup voyager ce que je n'avais pas trop fait
jusqu'alors. Ça m'a permis de visiter le monde ce qui est bien à
faire. J'allais dans les festivals et aux conférences de presse
mais surtout sur les tournages. Je me souviens d'un déplacement
dans la jungle thaïlandaise sur le tournage du dernier "Rambo".
Je suis arrivé de nuit, j'avais chaud, j'étais en décalage
horaire et tout à coup, j'ai vu un mec avec un bandana autour de
la tête devant moi, c'était Sylvester Stalone ! Ça fait un truc
d'avoir un mythe en face de soi !
S'il arrête la radio
durant 15 ans, Arnold se tient au courant de ce qui s'y passe
car il a envie d'y revenir sans trop savoir comment. Il pense
aussi qu'il paye un peu son caractère de "grande gueule
arrogante". Finalement, en 2012, il se décide et prend son
téléphone. Il appelle Radio France en espérant rejoindre Le
Mouv' qu'il apprécie. La réponse est positive et il y fait
quelques remplacement avant de finalement décrocher la matinale
de Oüi FM.
Un retour
gagnant sur Oüi FM
Arnold
Derek : A Oüi FM, je connaissais Emmanuel Rials, le directeur
général de l'époque et j'arrive au moment où ils veulent
retravailler leur matinale. J'y suis resté 3 ans. Après j'ai
fait un an à Radio Pôle Emploi qui est une très belle radio avec
beaucoup d'auditeurs et en pleine croissance !
Finalement, en aout
2015, il arrive à France Bleu. Le réseau de Radio France, lui
confie la prémainale diffusée en national de 5h00 à 6h00.
Peuleux : A l'époque,
tu es un homme du matin !
Arnold Derek : Là
c'est thermonucléaire comme horaire ! Tu te réveilles à 2h30 du
mat', tu te réveilles au milieu de la nuit ! J'ai été très
heureux de la faire mais c'est dur ! Alors que quand tu es
matinalier, tu te réveilles vers 4h00, ça chatouille un peu
l'aube, ça va mieux. J'aime bien les nouvelles expériences car
ça enrichit mais la prématinale de France Bleu j'en ai chié
(rires) !
Lorsqu'Arnold rejoint
France Bleu, le réseau est en réflexion sur plusieurs émissions
dont la tranche 19h00-20h00. Alors qu'il a fait ses preuves sur
la prématinale, Arnold apparaît comme la bonne personne à la
direction de France Bleu pour prendre en charge cette tranche
diffusée en nationale. L'animateur avoue qu'une fois l'objectif
défini avec la direction, il a fallu beaucoup travailler sur les
réglages et pour affiner l'organisation de l'émission.
Mon ton est
synchronisé à la couleur éditoriale de France Bleu
Peuleux : En quelques
mots, comment définis-tu le concept de "France Bleu Soir" qui
est une émission à plusieurs facettes entre culture et
divertissement ?
Arnold Derek : Pour
des raisons de lisibilité pour les auditeurs, nous avons décidé
de scinder l'émission en deux parties parce qu'il y a beaucoup
de voix différentes. Il y a une partie avec un invité et une
partie magazine. Ça ne pose pas de problème en télévision, ça
marche bien à la radio. Et puis la radio est un média
d'habitudes et avec ce découpage, les rendez-vous sont
clairement posés. Nous visons les gens qui rentrent du travail
dans les transports. Nous leur proposons de les divertir avec
des gens qu'ils connaissent ou que nous allons leur faire
découvrir de manière un peu ludique.
Peuleux
: Le nom de l'émission me surprend : "France Bleu Soir". A la
même heure sur d'autres radios, les "Europe Soir" ou "RTL Soir"
renvoient à des tranches d'information alors que l'information
ne prend qu'un quart d'heure sur la tranche.
Arnold Derek :
"France Bleu Soir" est la déclinaison d'un format existant :
"France Bleu Midi". Effectivement ça peut semer le doute mais
nous faisons quand même circuler de l'information sauf qu'elle
est plutôt culturelle !
Arnold ne choisit pas
ses invités, c'est le travail de Maud Rouland, la
programmatrice, qui tient compte de la couleur éditoriale de la
radio.
Peuleux : Quel invité
qui n'est pas dans le format de France Bleu aimerais-tu recevoir
?
Arnold Derek : Un
écrivain comme Emmanuel Carrère qui fait des bouquins
formidables et qui vend beaucoup. Mais cela pourrait donner une
émission trop cérébrale alors que nous sommes dans une tranche
de divertissement. N'oublions pas que la radio n'a pas la
puissance de la télévision, n'ayant pas l'image par définition,
nous devons tabler sur des noms forts, connus du grand public.
Par exemple, vendredi dernier, je recevais Gérard Jugnot. Tout
le monde connaît Gérard Jugnot même si tout le
monde n'est pas capable de citer un film où il est à
l'affiche.
Peuleux : Comment
prépares-tu l'émission ?
Arnold Derek : Mal
(rires) ! Ce qui est primordial quand tu reçois un invité, c'est
de connaître ce qu'il a fait. Donc je vais voir les pièces et
les films, j'écoute les disques, je lis les livres. C'est mon
premier travail. Ensuite, j'aime bien passer des extraits
sonores en rapport avec l'invité et sa carrière. Ça crée des
passerelles. Même si j'ai beaucoup préparé mon émission,
j'essaye d'être dans un état d'esprit assez candide pour garder
un peu de spontanéité. Je n'ai jamais autant préparé des
émissions depuis que je suis dans ce métier. Il faut savoir où
tu vas mais la spontanéité rend l'émission plus humaine et
incite l'invité à se confier plus facilement. C'est plus vivant.
Peuleux
: Que disent les auditeurs lorsqu'ils réalisent que le Arnold
Derek de France Bleu est le Arnold de Fun Radio et Skyrock ? Que
le Arnold de leur jeunesse officie aujourd'hui sur une radio "de
vieux" ?
Arnold Derek : Pour
l'instant, les gens disent peu de choses (sourire) ! Ils sont
étonnés. Mais à 50 ans, je ne vois pas comment je pourrai aller
parler à des jeunes de 12-14 ans. Je n'évite pas quelques vannes
bien sûr ! Mais je suis bien sur France Bleu et j'ai la chance
que l'on me laisse faire une émission avec le ton qui est le
mien. C'est important. Ce n'est pas donné à tout le monde de
pouvoir synchroniser son ton à la couleur éditoriale de la
station. Nous évoluons tous : je suis passé par des radios
provoc' et rock plus jeune, là je suis sur la radio partenaire
de la prochaine tournée de Céline Dion mais tout va bien. Il ne
faut pas confondre la radio et ses animateurs comme il ne fait
pas confondre un acteur avec son rôle. Je vais la promotion de
certains artistes sans forcément les écouter chez moi.
Peuleux : A la
rentrée, Arnold et France Bleu seront-ils toujours synchronisés
?
Arnold Derek : Je ne
sais pas, nous sommes début avril et qu'il est trop tôt pour
répondre. En tout cas, ils semblent contents de mon travail et
moi je suis heureux ici. Sur un mal entendu, ça peut marcher
(rires), en tout cas j'ai envie de continuer.
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