Le 24 février 2022, Vladimir
Poutine ordonne une "opération militaire spéciale" en Ukraine.
Dès le 7 mars 2022, Radio France lance "Guerre en Ukraine", un
podcast pour rendre compte de ce conflit aux portes de l'Europe.
Plongée dans les coulisses d'un podcast original….
Le 7 mars 2022, alors que l'offensive
russe en Ukraine a débuté depuis une dizaine de jours, Radio
France lance un podcast pour raconter le conflit au quotidien.
Sous la houlette de Gregory Philipps, ancien correspondant du
groupe à Washington et désormais sur France Culture, la
rédaction internationale commune à France Inter, Franceinfo et
France Culture veut raconter la guerre, suivre les civils qui
fuient les combats et ceux qui restent, mesurer les conséquences
sur les pays voisins et à Moscou.
Rendre compte de
la situation et éclairer les auditeurs
A
chaque épisode dont la durée varie de 10 à 13 minutes, Grégory
Philipps donne les dernières informations sur le conflit mais
propose aussi les témoignages d'ukrainiens, des reportages des
journalistes de Radio France, il reprend des extraits
d'émissions de France Inter, Franceinfo et France Culture, il
échange avec des journalistes et des experts… Tout cela dans le
but de rendre compte mais aussi d'éclairer les auditeurs.
Avec le temps, Grégory Philipps intègre
des mémos vocaux laissés par les journalistes sur le terrain qui
racontent leur quotidien et les coulisses de leur mission. Par
ailleurs, la forme du podcast s'adapte. Dans un premier temps, à
partir du mois de mai, la durée des émissions quotidiennes
diminue légèrement, de 6 à 10 minutes. Dans un second temps, le
1er juillet 2022, pour tenir compte du nouveau rythme
de cette guerre qui dure, Grégory Philipps annonce que le
podcast devient hebdomadaire. Mais en fait, il présente un
dernier numéro de "Guerre en Ukraine" le mercredi 6 juillet 2022
avant de quitter Radio France pour BFM TV.
Après deux mois de sommeil estival, le
podcast revient le 12 septembre 2022 sous la houlette de la
journaliste Isabelle Labeyrie au rythme de deux épisodes par
semaine d'une durée moyenne de 13 à 18 minutes.
Raconter les
combats mais aussi la vie de tous les jours
La journaliste qui s'est portée
volontaire pour reprendre le podcast y apporte rapidement sa
touche : aux mémos vocaux des journalistes sur le terrain, elle
ajoute les mémos d'ukrainiens qui témoignent de leur quotidien
ainsi qu'une chanson ukrainienne en fin d'épisode.
Isabelle Labeyrie : Lorsque nous
racontons une guerre, nous parlons beaucoup du front et de
l'évolution des combats. Mais en Ukraine, la vie ordinaire
continue dans certaines villes : les enfants vont à l'école, il
y a encore des séances de cinéma et des spectacles vivants, les
gens travaillent…. Et je voulais que les ukrainiens sur place me
le racontent.
Mais la journaliste me confie que ses
correspondants ukrainiens ont actuellement du mal à lui laisser
des mémos vocaux. Elle doit régulièrement les relancer. Ils se
disent fatigués, ne trouvent plus rien à raconter qui soit
intéressant à leurs yeux, ils sont tout simplement "déprimés et
oppressés par cette guerre".
Un gros travail
de préparation pour chaque épisode du podcast
Pour préparer les deux épisodes
hebdomadaires mis en ligne le lundi et le jeudi, Isabelle
Labeyrie scrute les informations relatives à la guerre et ses
accotés tous les jours. Elle prend des notes, met de côté des
idées de sujets potentiellement intéressants. La veille du jour
de publication, elle liste les sujets qu'elle retient en tenant
compte de l'actualité récente, établit son conducteur et lance
des demandes de mémos vocaux aux journalistes sur le terrain,
sélectionne des reportages ou des extraits d'émission des
antennes de Radio France et sollicite parfois des collègues ou
des experts pour un commentaire au micro. Elle recherche aussi
une chanson ukrainienne porteuse d'un message au milieu de ce
conflit armé.
Isabelle Labeyrie : Je collecte de la
matière à travers les émissions et interventions de mes
collègues journalistes à l'antenne ou sur le terrain et je
modèle une émission avec.
Le
jour J, après avoir enregistré seule ses interventions dans une
cabine, elle débute le mixage de l'émission avec un technicien
de 14h00 à 17h30.
Le jour de ma venue, Isabelle Labeyrie
travaille sur le prochain numéro [NDLR : épisode publié le
24/04/2022] qui sera une émission spéciale qui répondra aux
questions des auditeurs. Ainsi, elle doit répondre à Charly qui
s'interroge sur le nombre de journalistes morts ou enlevés
depuis le début de la guerre. Pour cela, elle enregistre dans
une cabine de France Inter une séquence en compagnie d'Anna
Ognyanyk qui a longtemps travaillé en Ukraine pour une ONG
défendant la liberté de la presse et qui, aujourd'hui, est
accueillie au sein de la rédaction de Radio France. Anna dispose
de beaucoup d'informations qu'Isabelle a déjà un peu cadrées
mais je ressens chez Anna le désir profond de donner un maximum
d'informations sur ce thème afin de montrer l'ampleur des crimes
russes dans son pays. Elle donne donc beaucoup d'informations et
de détails. Au final, en comptant les bafouilles, Isabelle
Labeyrie dispose de 11 minutes d'enregistrement, elle en avait
prévu 3, elle en gardera finalement 4,5.
Le difficile
travail des journalistes sur le terrain
Peuleux : Quelles sont les conditions de
travail des journalistes de Radio France sur le terrain ?
Ont-ils toujours du mal à se procurer de la nourriture et du
carburant ?
<
Photo : Omar Ouahmane
Isabelle Labeyrie : Etrangement,
c'est de plus en plus facile pour nous d'aller en Ukraine. Nous
connaissons le chemin qui est stable : avion jusqu'en Pologne,
train jusqu'à Kiev. Nous disposons de voitures de location sur
place et avons des fixeurs qui nous accompagnent. La journaliste
suisse Maurine Mercier qui intervient régulièrement sur nos
antennes s'est installée à Kiev dans un appartement qu'elle
loue. Radio France dispose aussi désormais d'un appartement ce
qui est plus confortable pour nos équipes qui se relayent tous
les 2 mois : ils ont un logement prêt avec une connexion
Internet et du matériel sur place. Après, il n'y a plus de réels
problème d'approvisionnement en nourriture ou essence car une
économie de guerre s'est mise en place dans le pays.
Pour ce qui est des reporters se rendant
sur les zones de combat, Radio France, comme tous les médias,
est tenue de les former au contexte de guerre. Cette formation
dispensée par l'Armée française les sensibilise aux réflexes et
bons gestes à avoir en cas de tir. Par ailleurs, ils sont tous
équipés d'un gilet par balles et d'un casque. Isabelle Labeyrie
souligne que tous ses collègues sur le terrain ont aussi une
bonne expérience de ce type de théâtre d'intervention.
Peuleux : Nous connaissons la politique
russe très restrictive et contrôlée en matière de liberté de la
presse et de droit d'information mais aussi la pression qui peut
être exercée sur les journalistes russes comme étrangers. Avec
l'arrestation début avril 2022 d'Evan Gershkovich, journaliste
américain accusé d'espionnage, ne craignez-vous pas pour la
sécurité de Sylvain Tronchet, le correspondant permanent de
Radio France à Moscou ?
Isabelle Labeyrie : Nous avons
effectivement eu des craintes à un moment et la question de son
retour en France s'est posée. Il est resté sous les radars pour
l'instant. Il peut perdre son accréditation à tout moment mais
il continue de parler objectivement de tous les sujets dans ses
interventions. Et parfois, pour des sujets ou informations
particulières, ce sont les journalistes à Pais qui les donnent.
Il est vrai qu'il n'y a plus beaucoup de correspondants
étrangers en Russie…
Le journal
intime d'Anna en fil rouge
Peuleux : Pendant plusieurs épisodes de
"Guerre en Ukraine", nous avons suivi le retour au pays d'Anna
Ognyanyk qui allait retrouver sa mère malade et qui finalement
l'a laissé dans une maison de retraite en sachant qu'elle allait
y mourir prochainement. Anna nous a livré un journal de bord
intime, bouleversant et intéressant sur ce que beaucoup de ses
compatriotes vivent chaque jour. Mais ce journal n'a-t-il
finalement pas été trop intime ? N'est-t-il pas allé à
l'encontre de l'objectivité journalistique à laquelle nous
sommes chers en France en créant une sorte de lien empathique
entre les auditeurs et Anna (même si les français sont déjà très
majoritairement pro-ukrainiens dans ce conflit) ?
Isabelle Labeyrie : C'est vrai que cette
histoire nous a dépassée toutes les deux. Mais il y avait déjà
une première barrière dans ce que nous avons restitué dans le
podcast puisque nous avions convenu avec Anna qu'elle pouvait à
tout moment me dire "ne mets pas cela dans le podcast". Du coup,
elle a toujours gardé la main sur ce qui était diffusé. Après,
je n'ai pas pu tout retenir, comme dans chaque reportage ou
émission, il faut faire du tri et faire des choix. Pour ce qui
est de l'objectivité journalistique, nous la conservons dans la
manière dont nous rapportons les faits d'actualité. Avec Anna,
nous sommes dans la délivrance d'un témoignage, d'un témoignage
fort qui ne rend pas compte de l'actualité mais d'une petite
histoire dans la grande histoire. Ce qu'a vécu Anna, et qu'elle
a partagé avec nous, permet aussi de se rendre compte de ce
qu'est la réalité de nombreux autres réfugiés. Ils sont à l'abri
en France ou dans un autre pays, ils ont laissé de la famille et
des amis sur place, ils apprennent les destructions par
messagerie et ils assistent à des enterrements en visio….
Juste avant l'enregistrement de la
séquence sur les journalistes morts en Ukraine, j'ai pu échanger
avec Anna Ognyanyk sur le journal intime qu'elle nous a livré et
je lui ai demandé pourquoi elle avait voulu faire cela.
Anna Ognyanyk : Ce que je vivais était
très dur : retourner au pays et rejoindre ma maman mourante.
J'avais besoin de me raccrocher à quelque chose pour supporter
le quotidien. Je laissais des messages à Isabelle comme on en
laisse à une amie. Mais je me sentais aussi investie d'une
mission, de laisser un témoignage, une trace…
Une continuité
de l'information sur l'Ukraine dans une actualité mouvante
Pour ce qui concerne l'avenir de "Guerre
en Ukraine", Isabelle Labeyrie a du mal à se projeter. Sa seule
certitude est que la guerre ne s'arrêtera pas avant l'été. Pour
la journaliste, ce podcast à une vocation de service public en
maintenant une continuité d'information sur le conflit. Il est
difficile de lui donner tort lorsque l'on se rappelle que
l'Ukraine n'était quasiment plus évoquée à l'antenne de
certaines chaines d'information continue au moment de l'affaire
Palmade. Entre cette mouvance de l'actualité et la fatigue
informationnelle de certains auditeurs qui pourraient se
détourner de la question ukrainienne, le podcast est un moyen de
maintenir une continuité de l'information.
<
Photo : La journaliste Agathe Mahuet accompagnée de son fixeur
et traducteur Yashar
Pour la rentrée, Isabelle Labeyrie
réfléchit avec sa direction sur le maintien du rythme de
diffusion du podcast : rester à deux émissions hebdomadaires ou
passer à une seule ? il faut dire que pour la journaliste, le
rythme est soutenu avec en parallèle sa chronique quotidienne à
l'aube sur Franceinfo et sa déclinaison télévisuelle
hebdomadaire.
Isabelle Labeyrie : Idéalement, nous
aimerions arrêter ce podcast ce qui signifierait que la guerre
est finie. Mais en attendant, nous voulons continuer de rendre
compte de cette actualité régulièrement. Il y a peu de médias
qui font comme nous à Radio France, c'est donc important de la
faire.
Peuleux : A l'image du podcast
"Washington d'ici" qui avait été lancé pour suivre la campagne
présidentielle américaine et a finalement été prolongé pour
suivre les premiers du nouveau président au pouvoir, est-il
envisagé en interne que le podcast se poursuive après l'arrêt
des combats en version "Reconstruction en Ukraine" ?
Isabelle Labeyrie :
: Cela serait génial
mais, pour être honnête, nous savons que les belles histoires
sont toujours moins porteuses, un peu comme les trains à l'heure
qui sont moins intéressants que les trains en retard…. Mais
pourquoi pas !?
En attendant les réponses à ses
questions, Isabelle Labeyrie se prépare pour un séjour en
Ukraine de 2 semaines avant la fin de la saison…
Retrouvez "Guerre en Ukraine" en
podcast les lundis et jeudi sur le site et l'application de
Radio France ainsi que sur toutes les bonnes plateformes de
podcasting.
|