Lancée par le groupe médias Précom (filiale du
groupe SIPA-Ouest-France) à l'occasion du lancement du DAB+ à
Nantes, Clazz vient de naître sur les ondes. Disponible
uniquement en numérique, Clazz mêle musique classique et jazz
avec des ambitions nationales. Genèse d'un projet un peu fou…
Le 2 juillet 2019, le DAB+
était lancé sur la zone de Nantes (agglomérations de Nantes et
Saint-Nazaire en Loire-Atlantique et agglomération de La
Roche-sur-Yon en Vendée). Avec ce lancement, Clazz faisait ses
premières vocalises sur les ondes hertziennes. Se pencher sur le
berceau d'une nouvelle radio est une occasion rare.
Le 17 juillet, j'ai donc rendez-vous avec Jérôme
Burnichon, chargé du développement et de la communication du
pole radios du groupe Précom. Clazz n'ayant pas encore de
véritables locaux, Jérôme Burnichon me reçoit dans les locaux de
Hit West en bord de Loire dans le même immeuble que les bureaux
nantais de Ouest-France.
Vous êtes fous de créer de nouvelles radios à une époque où
existent Spootify et Deezer !
Peuleux : Qu'est-ce qui pousse
un groupe possédant le premier quotidien régional de France et
déjà plusieurs radios locales / régionales à vouloir lancer une
nouvelle radio, qui plus est sur un DAB+ en plein déploiement ?
Jérôme
Burnichon : Je sais que certains disent que nous sommes "fous de
créer de nouvelles radios à une époque où existent Spotify et
Deezer !". Mais notre groupe est attentif à ce qui fonctionne.
Et dans un monde où le digital a tendance à tout rafer et
notamment à faire s'écrouler la presse écrite, cela fait 10 ans
qu'il observe l'économie de la radio. Une économie qui résiste
plutôt bien au digital. Même avec YouTube, Spotify et Deezer, la
radio s'en sort pas mal. Et la radio locale / régionale s'en
sort encore mieux ! Le groupe SIPA-Ouest-France croit tellement
en la Radio qu'il y a environ 1,5 à 2 ans, il a pris des parts
dans le capital d'Alouette. Et finalement, peu de temps après,
nous avons eu le feu vert pour le projet d'une radio thématique.
Basiquement, cette nouvelle radio ne pouvait pas démarrer
sur la bande FM qui est saturée. Clazz candidate donc sur le
DAB+ que le groupe appelait de ses vœux depuis 20 ans. Clazz
candidate et obtient des fréquences.
Jérôme Burnichon : Comme la France démarre le déploiement
de la radio numérique terrestre très en retard par rapport à
d'autres pays, nous avons pu observer comme cela se passait :
lentement. Il faut que les auditeurs s'équipent de récepteurs
compatibles. C'est un processus qui va prendre 10 ans peut être
20. Nous avons donc décidé d'être raisonnables en ciblant le
public qui va le plus vite avoir accès au DAB+ et là le
directeur du pôle radios a eu un processus de réflexion
intéressant.
En schématisant : Quel public aura le plus vite accès au
DAB+ ? Les personnes qui changent régulièrement de voiture
c’est-à-dire les personnes ayant des voitures de fonction.
Sachant que la voiture est un lieu privilégié d'écoute de la
radio et qu'à partir d'un certain seuil de couverture du
territoire la norme DAB+ sera obligatoire intégrée aux nouveaux
postes de radio donc aux autoradios. Les regards se tournent
alors vers les cadres car à l'époque on suppose que les voitures
haut de gamme devanceront l'obligation de postes DAB+. Du coup,
une autre question se pose : qu'est-ce que veulent écouter les
cadres le plus souvent ? Du classique et du jazz ! "C'est un peu
cliché car certains écoutent Oüi FM ou Skyrock ! Mais nous avons
fait ce parti pris d'autant plus facilement qu'il allait dans le
sens de notre passion, de notre envie". Fort de ce raisonnement,
la future radio dispose d'une idée précise de l'auditeur qu'elle
veut aller chercher "alors qu'une généraliste doit parler au
panel le plus large".
Classique et Jazz sur la même radio : un pari risqué ?
Le format musical de Clazz est
unique en hertzien (FM ou DAB+) en France. Des radios comme FIP
ou France Musique peuvent proposer à la fois du Classique et du
Jazz mais dans des émissions thématiques distinctes. Vous en
trouverez peut-être sur Internet mais, en France, Clazz est bien
la seule gratuite et sans récupération de datas "ce qui est la
force de la Radio".
Si la radio est diffusée en DAB+ depuis le 2 juillet, elle
tourne en réalité depuis 6 mois hors ondes avec des panels qui
donnent leurs avis, "des avis vite critiques" mais qui font que
la version aujourd'hui audible n'est plus exactement celle du
début des tests. Et cette version sur les ondes évoluera
probablement dans les mois à venir. "Mais nous arrivons à
fédérer assez facilement le public classique et le public jazz".
Dans la programmation musicale, il faut des repères mais
Clazz ne veut pas être que dans le "Menuet" de Mozart ou du
Sydney Bechet. Elle veut aussi aller chercher des artistes moins
exposés, moins connus pour des gens peu avertis. Mais dans
l'autre sens, il ne lui faut pas non plus devenir une radio de
spécialistes.
Jérôme Burnichon : Clazz ne veut pas être une radio
nécessitant un mode d'emploi ou bien 20 ans de connaissance dans
le Classique ou le Jazz pour être écoutée. Nous la voulons la
plus populaire possible.
Nous voulons créer la pause Clazz
Au
sein des deux genres musicaux formant son ADN, la radio s'est
mis quelques limites :
-
Pas de Free Jazz, "pas forcément simple d'accès avec parfois des
motifs musicaux très répétitifs et des morceaux souvent trop
long" (certains peuvent durer 25 minutes !),
-
Pas trop de classique baroque avec du clavecin,
-
Pas de titre de plus de 10 minutes.
Jérôme Burnichon : Plus que des
styles musicaux, nous voulons apporter une humeur. Comme tu peux
faire ta pause Kit-Kat, nous voulons créer la pause Clazz qui
apporte une bulle d'oxygène. Sachant que nous n'avons pas la
même humeur le matin que le soir, la semaine que le week-end.
Peuleux : Pour construire la playlist de Clazz, il vous a
fallu acheter plein de disques car je suppose qu'il n'y a pas
beaucoup de titres classiques ou jazz dans la discothèque de Hit
West !
Jérôme Burnichon : Effectivement ! Une radio comme Clazz
nécessite plus de titres qu'une radio musicale contemporaine car
il y a moins de rotations dans les titres. D'autant plus que la
promesse de Clazz est que l'auditeur n'entende jamais deux fois
le même titre dans la journée !
Pour vous donner une comparaison, Hit West peut jouer le
hit du moment jusqu'à sept foi pas jour et des titres moins en
vogue jusqu'à quatre fois. Et sur des radios comme NRJ ou Virgin
Radio, ces chiffres peuvent être plus élevés… Il a donc fallu
agréger beaucoup de titres !
Trois mois de travail pour concevoir la discothèque de la radio
!
Jérôme Burnichon : Nous avons beau nous éclater dans
l'équipe à concevoir cette radio, il nous fallait un spécialiste
pour programmer du Classique et du Jazz. Nous avons mis un an à
la trouver ! A un moment, nous nous sommes demandé si nous ne
cherchions pas la perle rare et que nous allions devoir chercher
un spécialiste du Classique et un spécialiste du Jazz qui
sauraient s'entendre pour construire la programmation. Mais nous
avons trouvé Marie-Eve qui était sur la même longueur d'ondes
que nous.
Marie-Eve a mis 3 mois à concevoir la discothèque de Clazz
avec aujourd'hui 4 000 titres "qui forment les humeurs de
Clazz".
Jérôme Burnichon : Je mets ma main au feu que demain nous
aurons des auditeurs qui viendront chercher un quart d'heure de
détente sur Clazz sans aimer le Classique ou le Jazz.
Il a déjà gagné son pari puisque c'est mon cas !
Sur la journée, Clazz propose un 50-50 entre les deux
styles mais ne propose pas une alternance systématique à
l'antenne avec un titre jazz, un titre classique, un titre jazz,
un titre classique… D'autant plus que les titres classiques
durent souvent plus longtemps que les titres jazz qui sont
aujourd'hui presque formatés single.
De l'animation et de l'information à partir d'octobre…
Peuleux : Aujourd'hui, Clazz
est un robinet musical qui coule, qui coule… Mais que va-t-il se
passer dans les mois à venir ? Des animateurs, des émissions,
une matinale… ?
Jérôme
Burnichon : Le robinet coule effectivement mais programmer la
musique n'est pas si simple que cela pour commencer. D'autant
plus que nous n'avons pas d'algorithme comme Deezer, cela est
donc très chronophages à faire. La programmation de Clazz
représente actuellement 2 à 3 jours de travail par semaine pour
l'équipe entre l'écoute que nous en faisons, la prise en compte
des critiques avec des réajustements, la recherche de nouvelles
œuvres et l'exploration de nouveaux artistes. Mais c'est normal,
c'est le lancement de la radio !
Et Jérôme Burnichon de poursuivre en m'expliquant que "le
robinet" est la base du travail pour lancer une radio musicale
thématique, "la musique est notre première promesse, elle sera
là jour et nuit en modulant les humeurs". Au-delà de la musique,
Clazz ne proposera pas d'émissions thématiques mais offrira tout
de même des rendez-vous.
Jérôme Burnichon : A partir d'octobre, nous introduirons
de l'information et de l'animation. Ce point est moins galère
que trouver une programmatrice mais il faut quand même trouver
des talents qui ne soient pas du voice-track au kilomètre qui
annoncent Maurice Ravel comme ils annonceraient M Pokora. Là, le
casting est quasiment terminé.
Sur Clazz, l'animation sera de la culturation aux deux
styles de musique proposés "puisque nous ne voulons pas toucher
que des auditeurs avertis, il faudra donc expliquer un peu
pourquoi ce morceau et qui est l'artiste". L'animation de
l'antenne ne se fera pas non plus sous forme de shows, il n'y
aura d'ailleurs pas d'animateurs attitrés à une tranche. Les
animateurs de l'équipe tourneront tout au long de la journée.
Jérôme Burnichon : Nous n'aurons pas non plus d'animateurs
aseptisés, ils auront des personnalités qui seront sincères
lorsqu'elles parleront de Classique ou de Jazz. Les animateurs
seront interchangeables, l'idée est de ne pas avoir de voix
repère. Il y aura un style de voix repère. Nous considérons que
toutes les tranches sont importantes car la pause Clazz d'un
auditeur pourra aussi bien avoir lieu le matin à l'heure des
matinales sur les autres radios comme à 11h00
Pour l'information, comme Clazz cible un public plutôt
CSP+, elle sera plus teintée économie, high-tech, environnement,
sujets sociaux… "mais avec un niveau d'exigence supérieur à ce
que nous faisons actuellement pour nos journaux généralistes sur
nos autres médias". L'information sera plus soutenue sur le
6h00-9h00 notamment pour celles et ceux qui viennent prendre la
température sur le marché des entreprises. Jérôme Burnichon :
pense ici au secteur bancaire ou au secteur agronomique très
présente dans l'ouest. "On sera dynamique sur le projet".
Peuleux : Les animateurs seront-ils en direct
?
Jérôme Burnichon : Au début, non. Mais ce ne sera pas du
voice-track comme on peut l'entendre. Ils seront enregistrés
mais en s'étant imprégnés de leur tranche d'animation. Et
sachant que ces animateurs auront aussi d'autres taches au sein
de Clazz. Demain, rien n'exclut que nous proposions du direct.
Et c'est là que la radio rencontre dès sa naissance un
problème pratique : elle ne dispose actuellement pas de studio
dédié même si les animateurs pourront utiliser les studios et
cabines de Hit West. Mais si les ambitions de la radio se
confirment, il faudra en créer un. Or il y a problème de place
sur le plateau dédié aux radios dans l'immeuble de Ouest-France
à Nantes. Pour l'instant, les deux journalistes et trois
animateurs qui composeront la base de l'équipe antenne à la
rentrée trouveront de la place où s'installer aux côtés de la
programmatrice musicale et des équipes communes aux différentes
radios du groupe.
De l'information mais sauce Clazz
Pour l'information, la direction de la radio navigue entre
deux eaux : tout fabriquer en interne ou demander la fabrication
de programmes spécifiques à une agence de presse. Entre les
deux, le cœur balance. Financièrement, les deux solutions se
valent.
Jérôme Burnichon : En termes d'émulation d'équipe, c'est
mieux d'avoir les gens en interne mais cela provoquerait
rapidement une surcharge de travail et rencontrerait un problème
de places d'un point de vue physique. Dans un premier temps, au
moins pour l'année 1, nous allons probablement rabattre nos
ambitions et confier la tâche à une agence de presse. Dans les
deux cas, notre besoin nécessite des recrutements spécifiques.
Concernant les sujets abordés, Jérôme Burnichon dit que la
radio ne bouderait pas une actualité du jour comme la démission
de François de Rugy mais reconnait que Clazz ne pourra rien
apporter de plus qu'une autre radio. En étant une nouvelle
radio, Clazz devra donc apporter un petit truc en plus en
évoquant, par exemple, l'impact de cette démission sur
l'économie. "Nos journalistes devront donc faire un sourcing
spécifique à Clazz".
Des ambitions nationales mais raisonnables…
Clazz a pour ambition de
devenir nationale, le groupe propriétaire pousse dans ce sens.
Pour l'heure la radio dispose de deux fréquences DAB+ en
Loire-Atlantique. Le déploiement de la fréquence vendéenne a
pris du retard dans la mise en place du multiplex de diffusion
et arrivera à la rentrée. Rouen suivra en octobre avec le
lancement du DAB+ dans cette zone. La radio arrivera ensuite à
Tours et La Rochelle courant 2020. Elle candidatera sur la
plupart des zones en DAB+.
Après de grands débats en interne, la radio n'a pas
postulé sur le "tentant appel à candidatures" pour une diffusion
métropolitaine car le ticket d'entrée est trop cher : environ
850 000 euros pour émettre. "Nous n'avons pas ces moyens
actuellement". La radio souhaite grandir vite mais pas à
n'importe quel prix. A termes, elle diffusera de la publicité
pour pouvoir vivre et payer ses collaborateurs. Plus elle sera
audible, plus elle pourra spéculer sur les revenus publicitaires
permis par sa couverture en DAB+. Mais il faut garder un certain
équilibre entre développement et finances.
Jérôme Burnichon : Géographiquement, Clazz n'a pas de
limite pour sa zone de développement même si à une époque le
groupe voulait être puissant sur l'ouest (Pays de la Loire et
Bretagne) avec un regard vers le Centre en remontant sur Paris.
Mais cette stratégie s'est adaptée au digital ainsi
ouest-france.fr est accessible dans toute la France. Autant Hit
West aura du mal à se poser à Marseille en étant connoté Ouest
dans son nom mais pas Clazz. Toutefois, nous prenons le train en
marche car nous sommes arrivés après le déploiement de Paris,
Marseille, Lyon, Lille… Mais nous y candidateront lorsqu'un
second appel à candidatures sera lancé sur ces zones.
Clazz n'aura pas de stratégie Internet…
Clazz
n'aura pas de stratégie via son site Internet et les réseaux
sociaux. Le site ne sera qu'une porte d'entrée à l'écoute de la
radio avec tout de même (prochainement) la possibilité de
consulter les titres diffusés. Pour une radio qui démarre, la
mise en place de contenus éditoriaux serait trop chronophage.
"La radio d'abord !"
La question des réseaux sociaux s'est posée. Un compte non
animé renvoie une mauvaise image. Animer un compte social est
chronophage si on veut bien le faire. La radio n'ouvrira donc
pas de comptes sociaux à son nom. Mais, il y aura de la
communication via LinkedIn ou Twitter voire Facebook. Il n'y
aura pas non plus de grosses campagnes publicitaires, la
direction est plus sur de la relation presse pour expliquer son
projet et le programme. "C'est ce que nous faisons à cet instant
avec Histoire(s) radiophonique(s) mais aussi au travers des
titres de presse écrite de notre groupe propriétaire".
Jérôme Burnichon : Nous voulons nous donner du temps… La
radio est un média d'habitudes mais peut aussi être une
madeleine de Proust à travers le temps si la radio (grille et
habillage) n'a pas été bouleversée tous les 6 mois et a su
garder ses piliers et ses repères comme un carillon / top
horaire par exemple.
Voilà Clazz vous attend sur le DAB+ si vous êtes équipés
et dans une zone de diffusion ou via son site web clazz.radio.
Entre le moment où l'idée a commencé à germer dans les esprits
et la mise en onde le 2 juillet dernier, il s'est écoulé environ
2ans… Et le chantier se poursuit avec passion !
Ah oui, vous vous demandez peut-être encore d'où vient le
nom de la radio. C'est bien sûr la contraction de CLassique et
jaZZ avec une sonorité proche de "classe" mais je vous livre en
conclusion une dernière anecdote sur le choix du nom de la radio
:
Jérôme Burnichon : Je suis le
spécialiste des noms à la con. Clazz est le premier nom qui me
soit venu et le premier qui a été viré dans la liste que j'ai
proposé. Finalement, il a fait son bonhomme de chemin avant de
devenir une évidence.
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