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 DANS LES COULISSES DE... "GUERRE EN UKRAINE" / RADIO FRANCE | 18/04/2023

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine ordonne une "opération militaire spéciale" en Ukraine. Dès le 7 mars 2022, Radio France lance "Guerre en Ukraine", un podcast pour rendre compte de ce conflit aux portes de l'Europe. Plongée dans les coulisses d'un podcast original….

 

Le 7 mars 2022, alors que l'offensive russe en Ukraine a débuté depuis une dizaine de jours, Radio France lance un podcast pour raconter le conflit au quotidien. Sous la houlette de Gregory Philipps, ancien correspondant du groupe à Washington et désormais sur France Culture, la rédaction internationale commune à France Inter, Franceinfo et France Culture veut raconter la guerre, suivre les civils qui fuient les combats et ceux qui restent, mesurer les conséquences sur les pays voisins et à Moscou.

 

Rendre compte de la situation et éclairer les auditeurs

 

A chaque épisode dont la durée varie de 10 à 13 minutes, Grégory Philipps donne les dernières informations sur le conflit mais propose aussi les témoignages d'ukrainiens, des reportages des journalistes de Radio France, il reprend des extraits d'émissions de France Inter, Franceinfo et France Culture, il échange avec des journalistes et des experts… Tout cela dans le but de rendre compte mais aussi d'éclairer les auditeurs.

Avec le temps, Grégory Philipps intègre des mémos vocaux laissés par les journalistes sur le terrain qui racontent leur quotidien et les coulisses de leur mission. Par ailleurs, la forme du podcast s'adapte. Dans un premier temps, à partir du mois de mai, la durée des émissions quotidiennes diminue légèrement, de 6 à 10 minutes. Dans un second temps, le 1er juillet 2022, pour tenir compte du nouveau rythme de cette guerre qui dure, Grégory Philipps annonce que le podcast devient hebdomadaire. Mais en fait, il présente un dernier numéro de "Guerre en Ukraine" le mercredi 6 juillet 2022 avant de quitter Radio France pour BFM TV.

Après deux mois de sommeil estival, le podcast revient le 12 septembre 2022 sous la houlette de la journaliste Isabelle Labeyrie au rythme de deux épisodes par semaine d'une durée moyenne de 13 à 18 minutes.

 

Raconter les combats mais aussi la vie de tous les jours

 

La journaliste qui s'est portée volontaire pour reprendre le podcast y apporte rapidement sa touche : aux mémos vocaux des journalistes sur le terrain, elle ajoute les mémos d'ukrainiens qui témoignent de leur quotidien ainsi qu'une chanson ukrainienne en fin d'épisode.

Isabelle Labeyrie : Lorsque nous racontons une guerre, nous parlons beaucoup du front et de l'évolution des combats. Mais en Ukraine, la vie ordinaire continue dans certaines villes : les enfants vont à l'école, il y a encore des séances de cinéma et des spectacles vivants, les gens travaillent…. Et je voulais que les ukrainiens sur place me le racontent.

Mais la journaliste me confie que ses correspondants ukrainiens ont actuellement du mal à lui laisser des mémos vocaux. Elle doit régulièrement les relancer. Ils se disent fatigués, ne trouvent plus rien à raconter qui soit intéressant à leurs yeux, ils sont tout simplement "déprimés et oppressés par cette guerre".

 

Un gros travail de préparation pour chaque épisode du podcast

 

Pour préparer les deux épisodes hebdomadaires mis en ligne le lundi et le jeudi, Isabelle Labeyrie scrute les informations relatives à la guerre et ses accotés tous les jours. Elle prend des notes, met de côté des idées de sujets potentiellement intéressants. La veille du jour de publication, elle liste les sujets qu'elle retient en tenant compte de l'actualité récente, établit son conducteur et lance des demandes de mémos vocaux aux journalistes sur le terrain, sélectionne des reportages ou des extraits d'émission des antennes de Radio France et sollicite parfois des collègues ou des experts pour un commentaire au micro. Elle recherche aussi une chanson ukrainienne porteuse d'un message au milieu de ce conflit armé.

Isabelle Labeyrie : Je collecte de la matière à travers les émissions et interventions de mes collègues journalistes à l'antenne ou sur le terrain et je modèle une émission avec.

 

Le jour J, après avoir enregistré seule ses interventions dans une cabine, elle débute le mixage de l'émission avec un technicien de 14h00 à 17h30.

Le jour de ma venue, Isabelle Labeyrie travaille sur le prochain numéro [NDLR : épisode publié le 24/04/2022] qui sera une émission spéciale qui répondra aux questions des auditeurs. Ainsi, elle doit répondre à Charly qui s'interroge sur le nombre de journalistes morts ou enlevés depuis le début de la guerre. Pour cela, elle enregistre dans une cabine de France Inter une séquence en compagnie d'Anna Ognyanyk qui a longtemps travaillé en Ukraine pour une ONG défendant la liberté de la presse et qui, aujourd'hui, est accueillie au sein de la rédaction de Radio France. Anna dispose de beaucoup d'informations qu'Isabelle a déjà un peu cadrées mais je ressens chez Anna le désir profond de donner un maximum d'informations sur ce thème afin de montrer l'ampleur des crimes russes dans son pays. Elle donne donc beaucoup d'informations et de détails. Au final, en comptant les bafouilles, Isabelle Labeyrie dispose de 11 minutes d'enregistrement, elle en avait prévu 3, elle en gardera finalement 4,5.

 

Le difficile travail des journalistes sur le terrain

 

Peuleux : Quelles sont les conditions de travail des journalistes de Radio France sur le terrain ? Ont-ils toujours du mal à se procurer de la nourriture et du carburant ?

< Photo : Omar Ouahmane

 Isabelle Labeyrie : Etrangement, c'est de plus en plus facile pour nous d'aller en Ukraine. Nous connaissons le chemin qui est stable : avion jusqu'en Pologne, train jusqu'à Kiev. Nous disposons de voitures de location sur place et avons des fixeurs qui nous accompagnent. La journaliste suisse Maurine Mercier qui intervient régulièrement sur nos antennes s'est installée à Kiev dans un appartement qu'elle loue. Radio France dispose aussi désormais d'un appartement ce qui est plus confortable pour nos équipes qui se relayent tous les 2 mois : ils ont un logement prêt avec une connexion Internet et du matériel sur place. Après, il n'y a plus de réels problème d'approvisionnement en nourriture ou essence car une économie de guerre s'est mise en place dans le pays.

Pour ce qui est des reporters se rendant sur les zones de combat, Radio France, comme tous les médias, est tenue de les former au contexte de guerre. Cette formation dispensée par l'Armée française les sensibilise aux réflexes et bons gestes à avoir en cas de tir. Par ailleurs, ils sont tous équipés d'un gilet par balles et d'un casque. Isabelle Labeyrie souligne que tous ses collègues sur le terrain ont aussi une bonne expérience de ce type de théâtre d'intervention.

 

Peuleux : Nous connaissons la politique russe très restrictive et contrôlée en matière de liberté de la presse et de droit d'information mais aussi la pression qui peut être exercée sur les journalistes russes comme étrangers. Avec l'arrestation début avril 2022 d'Evan Gershkovich, journaliste américain accusé d'espionnage, ne craignez-vous pas pour la sécurité de Sylvain Tronchet, le correspondant permanent de Radio France à Moscou ?

Isabelle Labeyrie : Nous avons effectivement eu des craintes à un moment et la question de son retour en France s'est posée. Il est resté sous les radars pour l'instant. Il peut perdre son accréditation à tout moment mais il continue de parler objectivement de tous les sujets dans ses interventions. Et parfois, pour des sujets ou informations particulières, ce sont les journalistes à Pais qui les donnent. Il est vrai qu'il n'y a plus beaucoup de correspondants étrangers en Russie…

 

Le journal intime d'Anna en fil rouge

 

Peuleux : Pendant plusieurs épisodes de "Guerre en Ukraine", nous avons suivi le retour au pays d'Anna Ognyanyk qui allait retrouver sa mère malade et qui finalement l'a laissé dans une maison de retraite en sachant qu'elle allait y mourir prochainement. Anna nous a livré un journal de bord intime, bouleversant et intéressant sur ce que beaucoup de ses compatriotes vivent chaque jour. Mais ce journal n'a-t-il finalement pas été trop intime ? N'est-t-il pas allé à l'encontre de l'objectivité journalistique à laquelle nous sommes chers en France en créant une sorte de lien empathique entre les auditeurs et Anna (même si les français sont déjà très majoritairement pro-ukrainiens dans ce conflit) ?

Isabelle Labeyrie : C'est vrai que cette histoire nous a dépassée toutes les deux. Mais il y avait déjà une première barrière dans ce que nous avons restitué dans le podcast puisque nous avions convenu avec Anna qu'elle pouvait à tout moment me dire "ne mets pas cela dans le podcast". Du coup, elle a toujours gardé la main sur ce qui était diffusé. Après, je n'ai pas pu tout retenir, comme dans chaque reportage ou émission, il faut faire du tri et faire des choix. Pour ce qui est de l'objectivité journalistique, nous la conservons dans la manière dont nous rapportons les faits d'actualité. Avec Anna, nous sommes dans la délivrance d'un témoignage, d'un témoignage fort qui ne rend pas compte de l'actualité mais d'une petite histoire dans la grande histoire. Ce qu'a vécu Anna, et qu'elle a partagé avec nous, permet aussi de se rendre compte de ce qu'est la réalité de nombreux autres réfugiés. Ils sont à l'abri en France ou dans un autre pays, ils ont laissé de la famille et des amis sur place, ils apprennent les destructions par messagerie et ils assistent à des enterrements en visio….

Juste avant l'enregistrement de la séquence sur les journalistes morts en Ukraine, j'ai pu échanger avec Anna Ognyanyk sur le journal intime qu'elle nous a livré et je lui ai demandé pourquoi elle avait voulu faire cela.

Anna Ognyanyk : Ce que je vivais était très dur : retourner au pays et rejoindre ma maman mourante. J'avais besoin de me raccrocher à quelque chose pour supporter le quotidien. Je laissais des messages à Isabelle comme on en laisse à une amie. Mais je me sentais aussi investie d'une mission, de laisser un témoignage, une trace…

 

Une continuité de l'information sur l'Ukraine dans une actualité mouvante

 

Pour ce qui concerne l'avenir de "Guerre en Ukraine", Isabelle Labeyrie a du mal à se projeter. Sa seule certitude est que la guerre ne s'arrêtera pas avant l'été. Pour la journaliste, ce podcast à une vocation de service public en maintenant une continuité d'information sur le conflit. Il est difficile de lui donner tort lorsque l'on se rappelle que l'Ukraine n'était quasiment plus évoquée à l'antenne de certaines chaines d'information continue au moment de l'affaire Palmade. Entre cette mouvance de l'actualité et la fatigue informationnelle de certains auditeurs qui pourraient se détourner de la question ukrainienne, le podcast est un moyen de maintenir une continuité de l'information.

 

< Photo : La journaliste Agathe Mahuet accompagnée de son fixeur et traducteur Yashar

Pour la rentrée, Isabelle Labeyrie réfléchit avec sa direction sur le maintien du rythme de diffusion du podcast : rester à deux émissions hebdomadaires ou passer à une seule ? il faut dire que pour la journaliste, le rythme est soutenu avec en parallèle sa chronique quotidienne à l'aube sur Franceinfo et sa déclinaison télévisuelle hebdomadaire.

Isabelle Labeyrie : Idéalement, nous aimerions arrêter ce podcast ce qui signifierait que la guerre est finie. Mais en attendant, nous voulons continuer de rendre compte de cette actualité régulièrement. Il y a peu de médias qui font comme nous à Radio France, c'est donc important de la faire.

Peuleux : A l'image du podcast "Washington d'ici" qui avait été lancé pour suivre la campagne présidentielle américaine et a finalement été prolongé pour suivre les premiers du nouveau président au pouvoir, est-il envisagé en interne que le podcast se poursuive après l'arrêt des combats en version "Reconstruction en Ukraine" ?

Isabelle Labeyrie :  : Cela serait génial mais, pour être honnête, nous savons que les belles histoires sont toujours moins porteuses, un peu comme les trains à l'heure qui sont moins intéressants que les trains en retard…. Mais pourquoi pas !?

En attendant les réponses à ses questions, Isabelle Labeyrie se prépare pour un séjour en Ukraine de 2 semaines avant la fin de la saison…

 

Retrouvez "Guerre en Ukraine" en podcast les lundis et jeudi sur le site et l'application de Radio France ainsi que sur toutes les bonnes plateformes de podcasting. 

 

 

Remerciements : Merci à Isabelle Labeyrie pour son accueil et sa disponibilité alors qu'elle était en plein rush pour enregistrer une séquence pour le podcast. Merci pour nos échanges sur l'actualité et avec Anna Ognyanyk.

Photo : Radio France, Peuleux, Agathe Mahuet, Omar Ouahmane

 

Pour aller plus loin...

Entretien avec...
Isabelle Labeyrie


France Culture

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France inter

Radio France

         

dernière mise à jour de cette fiche le 01/05/2023


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