Président de Groupe 1981, groupe médias basé à Orléans, et
Président des Indés Radio, Jean-Éric Valli est
toujours aussi passionné par le monde de la Radio qu'au début
des années 1980 tout en étant devenu l'un des acteurs majeurs du
paysage radiophonique français. Rencontre avec un homme sans
langue de bois…
Jeudi 4 juillet, Nantes accueillait le #RadioTour organisé par
La Lettre Pro de la Radio. A cette occasion, le Président du CSA a officiellement
lancé le DAB+ en Loire-Atlantique. En effet, depuis 2 jours, les
habitants des agglomérations de Nantes et Saint-Nazaire avaient
accès à la radio numérique terrestre (1). Parmi les intervenants de cette journée de conférences
et de rencontres,
Jean-Éric Valli. Le temps d'une pause, il m'a accordé un
entretien pour parler de son groupe, des Indés Radio et,
finalement, de la Radio en général.
En
amont rappelons que Groupe 1981 compte aujourd'hui en France huit radios sur la bande
FM et sur le DAB+ : Black Box
(Bordeaux / développement en Aquitaine), Forum (Centre
Val-de-Loire, Poitou-Charentes / développement en Pays de
la Loire), Latina (multivilles / ambition nationale), Swigg (multivilles
/ ambition
nationale), Vibration
(Centre Val de Loire, sud de l'Ile-de-France, est des Pays de la
Loire, Bourgogne et nord de l'Auvergne / développement
vers l'ouest), Voltage (Ile-de-France), Wit FM (nord Aquitaine)
et depuis peu Oüi FM (multivilles / ambition nationale).
Peuleux : Groupe 1981 était jusqu’à présent qualifié de groupe
médias régional. Mais aujourd'hui avec une couverture qui va de
Paris à Bordeaux et de Nantes au Morvan et avec trois radios aux
ambitions nationales, devons-nous
toujours utiliser ce qualificatif de "régional" ?
Jean-Éric Valli : L'esprit est régional car nous avons certes
des radios thématiques mais nous avons des radios régionales.
Par ailleurs, notre siège est à Orléans, notre manière de penser
est plus terrain que macro-économique avec un regard national.
Dans le paysage audiovisuel français où le mot magique est
"grand groupe", nous n'avons pas envie de rentrer dans cette
typologie. Nous sommes une grosse PME avec un savoir-faire, nous
ne voulons pas ressembler aux autres. Allez disons, que nous
sommes un groupe multirégional !
J'essaye de faire des programmes réalistes sans être
prétentieux.
Peuleux : En regardant les attributions
de fréquences en DAB+, Groupe 1981 est plutôt bien servi. Vous
êtes-vous fixés des limites en termes d'expansion géographique
pour chaque radio ?
[NDLR : avec les derniers ouvertures de
fréquences DAB+, Forum et Vibration arrivent à
Nantes qui devient leur bassin d'émission le plus à l'ouest
tandis que Wit
FM s'élancera vers le nord de la Nouvelle Aquitaine lors du
lancement du DAB+ à Bordeaux]
Jean-Éric Valli : Très simplement : nous
développons nos radios thématiques - Latina, Oüi FM et Swigg - sur
une plan national en visant prioritairement les grandes
agglomérations tandis que pour nos radios régionales, nous
restons sur une vision régionale mais étendue. Là, nous voulons
rester cohérents. Par exemple, nous n'irons jamais postuler avec
Wit FM sur Mulhouse mais nous pourrions l'envisager sur
Toulouse. Nous poussons un peu les bornes en tenant compte de
données économiques mais avec une logique rédactionnelle.
Le PDG de Groupe 1981 évoque ce qu'il appelle
"un développement national d'aujourd'hui". Pour ses radios
thématiques, le groupe cherche à disposer d'une diffusion par
les ondes (FM et/ou DAB+) sur
les grandes agglomérations tout en étant présent sur la radio
hybride (1). Un paramètre que Jean-Eric Valli veut avoir à
l'esprit car la stratégie des radios devient mobile.
D'ailleurs, Skyrock parle de "mobiradio" quand NRJ utilise le
terme "radio digitale".
Jean-Eric Valli : Nous devons avoir une
stratégie très mobile, nous ne sommes plus dans l'idéologique
"je suis né en FM, je vais mourrir en FM" ou bien "maintenant il n'y
a que le DAB+". D'ailleurs, même s'il y a des questions
économiques, je ne crois pas qu'il faille fixer une date
d'extinction de la FM dès à présent. Ce qui compte, c'est
l'intérêt de l'auditeur tout en tenant compte de l'évolution
technologique. Ainsi, nous diffusons tous sur Internet mais si
la FM et le DAB+ restent gratuits, la réception IP est payante
quelque part (au moins du fait de votre abonnement Internet via
votre box ou votre téléphone).
La version actuelle de Oüi FM est très bien...
Peuleux : Au-delà du plan géographique,
le groupe vient de connaître une extension structurelle avec le rachat de
Oüi FM. Quel est l'avenir de la radio rock rachetée à Arthur ?
Jean-Éric Valli : La version à l'antenne
actuellement est très bien. L'écueil que nous devons éviter est
de nous perdre d'un point de vue éditorial en faisant par
exemple une programmation rock trop pointue qui égarera les
auditeurs. La version développée ces dernières années avec moins
d'émissions très thématiques et plus de contenus présentés
autrement a permis aux audiences de la radio de remonter. Il a
été plus tenu compte de la vraie demande que d'un microcosme
(3). Dans l'équipe d'aujourd'hui, il y a des gens qui font leur
métier différemment mais qui le font encore mieux qu'hier. Notre
intention est d'être cohérent avec un format rock qui s'inscrit
en complément dans notre offre thématique. Nous allons le poursuivre du mieux
possible en valorisant les talents de l'équipe.
Peuleux : Le fait d'avoir racheté une
radio qui est inscrite dans l'histoire de la bande FM notamment
parisienne n'ajoute pas une petite pression supplémentaire ?
Jean-Éric Valli : Non pas du tout. Je
travaille pour les auditeurs, pas pour les copains, les
institutionnels, le CSA… C'est le problème de Paris, on s'y
parle entre soi, on s'y satisfait entre soi. C'est l'avantage
d'avoir notre siège à Orléans. Nous avons cette force de pouvoir
ignorer le microcosme.
Peuleux : Oüi FM va-t-elle déménager
pour rejoindre les autres radios du groupe implantées à Paris ?
Jean-Éric Valli : Oui, elle va déménager
mais les autres radios du groupe installées à Paris aussi. Il
nous faut d'abord trouver des locaux. Nous n'avons pas de
pression, les baux actuels ne sont pas finis. Cela va prendre du
temps car il faudra aussi tout réinstaller. Mais ça sera sympa
d'avoir tout le monde ensemble pour travailler tous en ensemble.
Sud Radio : nous avons cédé la station sans honte ni
culpabilité mais en allant de l'avant.
Peuleux : Pouvons-nous faire une parenthèse
sur l'échec de la reprise de Sud Radio ?
Jean-Éric Valli :
La reprise de Sud Radio
n'a pas marché, nous avons cédé la station sans honte ni
culpabilité mais en allant de l'avant.
Il y a eu deux aspects
dans l'histoire. D'un côté, e CSA qui agréait la reprise
de la station par Start (ancien nom de Groupe 1981) associé à
Alouette et Radio Scoop mais sans nous dire qu'il ne voudrait
pas favoriser le développement d'une quatrième généraliste en
France. Dans le même temps, le CSA a permis à RMC de se
développer mais n'a rien dit pour Sud Radio. Pour moi, cela est
une forme d'amateurisme, il faut dire les choses. Le CSA
d'aujourd'hui qui a plus de considérations économiques en tête
n'agirait pas ainsi. Le CSA a protégé les trois anciennes
généralistes en sacrifiant Sud Radio. La conséquence a été de
n'avoir aucune nouvelle fréquence en dehors de celle de Paris.
Sud Radio n'a pas pu se développer en France pendant que 90
fréquences FM étaient attribuées à Europe 1, RMC et RTL dans
notre zone de diffusion. On a compté ! Faisons juste des maths,
à la fin, ça ne peut pas marcher. De l'autre côté, nous n'avons
pas bien su gérer la station. Il y avait un travail à faire avec
l'équipe beaucoup plus en profondeur que ce que nous avons fait
car nous avons rencontré beaucoup de résistances internes. Des
résistances avec
des gens qui avaient l'habitude de la radio des années 1960, une
radio parapublique et avec un financier qui a toujours bouché
les trous dans le budget. Là, ce n'était plus possible. Et nous
n'avons pas su approfondir ce point-là. Et puis, dans toute
cette adversité, nous avons peut-être mal construit notre
programme. Je ne jette pas la pierre mais je pense que chacun y
a contribué à sa façon à ce que ça ne marche pas.
Sans amertume, Jean-Éric Valli explique
que dès le début, les nouveaux propriétaires de Sud Radio ont dû
faire face à une grosse pression car la radio avait "un effectif
gigantesque, un effectif complémentent décalé de son économie"
avec une théorie : aucun plan économique, aucun licenciement,
aucune remise en question. "Le monde bouge autour de nous mais
il faudrait rester imperturbable !? C'est une théorie
incroyable. Or il faut bien à un moment gagner de l'argent pour
faire vivre le système."
Jean-Éric Valli : D'ailleurs, je me
souviens que lorsque nous présentions des évolutions de la
grille, certains salariés allaient se plaindre directement au
CSA qui les recevait, ce qui est inadmissible et démagogique
puisque le CSA n'avait aucun pouvoir à ce niveau-là sur nous. Le
CSA ne faisait que les écouter lors de rendez-vous occultes. La
leçon que j'en tire c'est que tout le monde doit être
professionnel. Pas d'approximation.
Groupe 1981 a de belles marques avec de belles histoires...
Peuleux : Les vacances commencent à
peine mais dans les radios tout le monde regarde déjà vers la
rentrée. Avez-vous des annonces intéressantes à faire pour la
rentrée des différentes stations ?
Jean-Éric Valli : Nous essayons de
travailler dans la continuité d'autant que nos différentes
radios se portent globalement bien. Nous allons nous efforcer de
corriger les petites choses qui ne vont pas bien et que nous
avons identifiées. La démarche générale est d'être plus
performants sur les contenus notamment les contenus parlés et de
rester cohérents avec nos formats. Nous sommes plus sur du
réglage, sur de l'optimisation que sur de la révolution.
Peuleux : Si nous regardons le
classement national des radios dites locales, il y a quand même
plusieurs radios de Groupe 1981 qui sont dans le top 10.
Jean-Éric Valli : Après Alouette, on
retrouve Latina, Oüi FM, parfois Swigg… C'est vrai que nous
avons de belles marques avec de belles histoires qui durent
depuis 30 à 40 ans pour certaines.
Peuleux : J'ai vu que vous aviez été
animateur de radio au début des années 1980. Le micro ne vous
manque pas ?
Jean-Éric Valli : Si mais ce n'est pas
mon boulot aujourd'hui. Je n'ai pas demandé à avoir ma propre
émission (sourire) !
Les combats des Indés Radio : DAB+, publicités et quotas
de chanson francophones
Peuleux : Parlons un peu des Indés
Radio. L'un des grands combats du GIE (groupement d'intêret
économique) était le déploiement du
DAB+, nous pouvons considérer que la chose est désormais bien
lancée… Quel est votre prochain grand combat ?
Jean-Éric Valli : Ce n'est pas du tout
fini, il faut désormais veiller à ce que les radios locales
soient aussi servies sur le DAB+. Sinon la grande préoccupation
des radios indépendantes aujourd'hui c'est la possibilité pour
la grande distribution de faire de la publicité à la télévision.
C'est juste impossible économiquement pour les radios ! Ensuite,
sur le moyen terme, il y a la question des quotas de chanson
francophone. Nous avons une loi ancienne aggravée en 2016 avec
une philosophie aujourd'hui inacceptable. Actuellement, ce sont
des gens qui ne font pas de radios qui décident à notre place et
même à la place des pouvoirs publics avec des textes législatifs
prêts à signer. Nous avons beaucoup à faire avec nos collègues
de la filière musicale plutôt de voir leur lobby nous taper sur
la tête. Les pouvoirs publics devraient écouter, arbitrer pour
l'intérêt commun. Ce n'est pas le cas. Et nous avons aussi en
face de nous des plateformes d'écoute en ligne (Deezer, Spotify,
Appel Music…) qui n'ont aucun quota à respecter et qui ne le
pourraient pas puisque leur mode de fonctionnement n'est pas
compatible avec ce dispositif : c'est l'auditeur qui choisit sa
musique ! Il y a des propos qui vont dans le bons sens pour des
radios msuicales thématiques comme Latina, Oüi FM ou FG mais le problème existe
pour toutes les radios !
Jean-Eric Valli appelle à être efficace
face à la concurrence du digital et à servir l'intérêt général.
Il déclare même ne pas être contre les quotas qui peuvent être
efficaces. Mais il a le sentiment que les pouvoirs publics
demandent aux radios toujours plus d'efforts "gentiment ou avec
la matraque" pour jouer plus d'artistes francophones "mais nous
ne sommes pas des idiots qui ne voudrions pas jouer d'artistes
français pour le principe. Nous sommes attentifs à ce que veut
notre public, d'ailleurs, nous faisons des études".
Jean-Eric Valli : Ce mode de
fonctionnement n'est plus acceptable, nous devons tous
travailler de manière solidaire dans le même sens. Dans cette
affaire de quotas, il y a un
aspect concret qui est destructeur et un aspect moral
qui est inacceptable.
Le Président des Indés Radio souligne
que les radios françaises font parties de la culture française
alors que les majors de l'industrie du disque sont presque
toutes aux mains d'investisseurs anglo-saxons. Il souligne que
les radios françaises défendent la culture française : "Si nous ne le faisions pas nous
ressemblerions à des webradios produites par un Google, sans la
spécificité qui nous distingue des radios digitales". Et de
rappeler que dans un pays où la lutte contre le chômage est
complexe, la Radio est une branche de l'économie française qui
ne peut pas se délocaliser à l'étranger et génère donc des
emplois sur le territoire national.
J'essaye de faire les choses sérieusement sans me
prendre au sérieux...
Peuleux : Une dernière question : entre
Groupe 1981 - où je vous imagine mal les fesses collées à votre
fauteuil - et la présidence des Indés Radios, vous devez avoir
de bonnes journées, non ?
Jean-Éric Valli : (rire) Je peux faire
deux réponses. La première serait "oui je travaille beaucoup"
mais la vraie est "est-ce que c'est un vrai travail ?". J'essaye
de faire les choses sérieusement sans me prendre au sérieux ou
prendre les choses gravement. Je crois que même dans les pires
moments de l'entreprise, je n'ai jamais réussi à faire une réunion
avec gravité. J'ai des bonnes journées dans le meilleur du sens
de l'expression "bonne journée".
Peuleux : Etes-vous plus un passionné de
radio qu'un professionnel de la Radio ?
Jean-Éric Valli : Je suis les deux. Avec
modestie, je pense discerner des choses que seule la passion ne
me permettrait pas de voir. J'ai le souci de voir les projets
aboutir avec succès. Pour moi, la radio est un support pour
exprimer des choses dans l'organisation sociale. D'ailleurs, Les
Indés Radio se sont fixés une direction déterminée, sans démagogie et
avec
respect. Les gens me connaissent pour dire la
vérité même si elle peut faire mal, que je le dis pour avancer
les choses.
C'est une alchimie qui me permet d'être attentif à la société
qui m'entoure. Avec les pouvoirs publics, même s'il m'arrive de
faire un sourire forcé, je ne fais jamais de langue de bois. On
ne se grandit pas dans la démagogie. Et en Radio, les auditeurs
sentent si on se moque d'eux et - heureusement - ils partent... On
peut leur proposer des choses qui sur le coup ne seront pas
forcément acceptés mais s'ils ne valident pas à la longue, il
faut savoir se retirer.
(1) La
Roche-sur-Yon (Vendée) a été déployé en simultanée de Nantes
puisqu'inclus dans la zone dite étendue.
(2) La
radio hybride est un poste de radio intelligent qui se connecte
au meilleur moyen de diffusion de votre station entre la FM, le
DAB+ et la diffusion sur IP (Internet).
(3) Face à la baisse des audiences de
Oüi FM, la direction de la radio rock avait supprimé la presque
totalité des émissions thématiques pour proposer une grille où
les titres s'enchaînent toute la journée entrecoupés de quelques
chroniques musicales. Cette nouvelle version de Oüi FM avait été
critiquée par de fidèles auditeurs et certains observateurs qui
regrettaient ces émissions à fort caractère et déploraient la
programmation musicale plus lissée. Mais cette nouvelle version
a rencontré son public puisque les audiences sont reparties à la
hausse.
|