Président-fondateur du Groupe
1981, premier groupe de radios indépendant avec
dix radios thématiques, Jean-Éric Valli est aussi le président
du groupement les Indés Radio et de la plateforme Radioplayer.
Rencontre avec un homme passionné de Radio mais toujours lucide
sur le monde médiatique…
Après avoir visité les locaux du Groupe 1981 à
Issy-les-Moulineaux, j'ai longuement discuté avec Jean-Éric Valli en compagnie de Thomas Jovy, directeur opérationnel
du groupe. Une discussion tous azimuts autour du groupe et de
ses radios mais aussi du média radio en général.
Mais avant tout, faisons un petit rappel
sur le Groupe 1981. Le groupe compte aujourd'hui dix radios
thématiques : trois à vocation nationale (Ado, Latina, Ouï FM),
cinq à vocation régionale (BlackBox, Forum, Vibration, Voltage
et Wit FM) et deux diffusées uniquement sur le DAB+ parisien
(Collector Radio et Radio Life). Ces radios sont réparties sur
trois sites : Orléans avec le siège social du groupe,
Issy-les-Moulineaux au sud-ouest de Paris et Bègles dans
l'agglomération de Bordeaux-.
Tour d'horizon
des différentes radios du groupe
Ado
Peuleux : Depuis août 2022, Ado est
redevenue Ado. Quel est votre bilan 8 mois plus tard ?
Jean-Éric Valli : Swigg visait un public plus jeune avec du rap
francophone alors qu'Ado à un public un peu plus adulte avec du
RNB plus varié et une ambiance plus gold. On verra dans les
audiences à venir mais on a effectivement ressenti une
satisfaction du public. A confirmer dans les chiffres.
Thomas Jovy : Des artistes qui ont connu
"le Ado d'avant 2017" et sont devenus artistes avec cette radio
m'ont dit être heureux de retrouver "le Ado de leur enfance"
même s'il y a quelques nouveautés. Sans être dans la caricature,
ils parlent du "nouveau Ado" comme étant leur Nostalgie version
RNB.
Peuleux : Dans la région de Bordeaux,
BlackBox propose un format proche de celui d'Ado. Est-ce à dire
qu'Ado n'ira jamais à Bordeaux pour éviter une concurrence
sorale ?
Jean-Éric Valli : Au contraire, nous aimerions bien y avoir une
fréquence. Au-delà de son format musical, BlackBox a une
dimension importante dans l'information locale. D'ailleurs, nous
pourrions développer BlackBox à un niveau régional
Collector
Radio et Radio Life.
Peuleux : Lorsque vous avez racheté Ouï
FM à Arthur, vous avez aussi acquis Collector Radio et Radio
Life. Depuis, j'ai l'impression que rien n'a bougé avec que cela
soit en termes de zone de diffusion ou du côté des programmes.
Jean-Éric Valli : Oui, elles sont aujourd'hui comme nous les avons
rachetés. Elles sont des radios pures DAB+ donc les
investissements restent restreints car au vu du nombre de
récepteurs DAB+, il y a encore peu d'auditeurs potentiels.
Ouvrons une parenthèse pour parler du
DAB+ :
Le président du Groupe 1981 m'explique
qu'il a 6 millions de postes compatibles DAB+ dans les logements
et voitures en France contre 150 millions de postes FM. Même
s'il se vend 7 millions de postes DAB+ par an, ce qui est un
niveau qu'il juge bon, le poste radio fait aussi face à la
concurrence des applications mobiles, des enceintes connectées
et autres boxes.
Jean-Éric Valli : En Angleterre et dans d'autres pays européens
passés au DAB depuis longtemps, le DAB domine le digital ce qui
est encourageant. Le DAB domine parce qu'un poste de radio reste
peu cher à l'achat, gratuit et facile d'utilisation, anonyme
(pas de cookie) et pas cher alors que le digital demande un
ordinateur ou un smartphone très cher à l'achat, avec la
nécessite d'installer une application. Et le tout n'est possible
qu'à condition de payer un abonnement…
Forum
et Radio Collector
Peuleux : La radio régionale Forum a
pour slogan "Radio collector" qui est le nom d'une autre radio
du groupe, pourquoi ?
Jean-Éric Valli : Pour nous, ce n'est pas gênant car Radio Collector
reste confidentielle en audience et n'est dispo qu'à Paris
tandis que Forum est diffusée essentiellement en Région
Centre-Val de Loire et en Poitou. Et "Radio collector" résume
parfaitement le format musical de Forum aujourd'hui.
Peuleux : Vous n'avez pas envisagé de
fusionner Forum et Radio Collector ?
Jean-Éric Valli : La question s'est posée mais c'est délicat. Forum a
un nom historique, qui a un sens en Région Centre et en Poitou.
Mais la radio Forum d'aujourd'hui n'est plus depuis longtemps un
forum d'échange comme son nom pourrait laisser à penser.
Serait-il alors pertinent que Radio Collector devienne Forum,
nom sans historique dans l'esprit des parisiens ? Et alors que
son nom est pertinent puisqu'il résume son format musical… Je
n'en suis pas sûr. En plus, il n'est pas prévu que Forum - qui a
une identité régionale - émette sur Paris. Entre un nom
historique pour Forum et un nom qui est un concept pour Radio
Collector, restons ainsi pour l'heure, restons simple.
Peuleux : Forum est traditionnellement
implantée en Région Centre Val de Loire et Poitou-Charentes.
Elle a un pied dans le Limousin en FM et a désormais un pied à
Nantes avec le DAB+. Forum va-t-elle s'étendre encore un peu ?
Jean-Éric Valli : Nous souhaitons développer Forum en FM dans la
région Pays de la Loire car il y a une continuité en termes
d'ambiance régionale avec la Région Centre. Alors, dès qu'il y a
des fréquences disponibles, nous postulons. Et des fois, nous
sollicitons des fréquences pour des radios qui sont cohérentes
sur le secteur ouvert à l'appel à candidatures lancé par l'Arcom
mais qui ne sont pas dans nos priorités de développement. On
joue un peu au "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras". La
réalité des attributions fait nous avons parfois des régions
cohérentes et parfois des régions morcelées. Et le DAB+ vient
comme un nouveau potentiel de développement…
Ouvrons une parenthèse sur la radio
locale face à la radio nationale et Internet
Peuleux ! Envisagez-vous à terme un
décrochage local à Nantes ?
Jean-Éric Valli : Je ne suis pas dogmatique sur le sujet des
décrochages. Je préfère avant tout avoir un programme général
cohérent au niveau régional ou plurirégional. Il faut savoir que
sur un bassin de population inférieur à 6 millions de personnes,
il n'y a pas d'obligation légale à faire un décrochage. Souvent,
l'Arcom le demande mais il n'y a pas d'obligation. Nos décideurs
ont du mal à percevoir la réalité du terrain entre la radio
locale et la radio nationale... Donc à visualiser la radio
régionale. Or si c'est intéressant de faire un décrochage local
pour parler de l'actualité locale, il y a des secteurs où la
matière première n'est pas suffisante pour alimenter ce
décrochage.
Pour Jean-Éric Valli, il ne faut pas enfermer les radios dans une
typologie où les radios locales auraient "l'immense mission" de
porter l'information locale et de découvrir les nouveaux talents
tandis que les super radios nationales diffuseraient le top de
la crème de la musique sans parler d'information. Pour lui, il
faut un équilibre ou bien des compensations. De son point de
vue, il en va de même que pour la musique où il y a des quotas à
la radio et rien sur Internet, "dans la vraie vie ce n'est pas
possible".
Jean-Éric Valli : Il faut préserver la radio qui est un média
responsable (notamment par rapport à l'irresponsabilité des
réseaux sociaux) et très vivant en lien avec les gens. Nous
avons parfois le sentiment que le système privilégie Internet
dont le fonds de commerce est l'argent, la division et les
préjugés.
Latina
Peuleux : Latina se porte bien en
Ile-de-France et se développe au national. Quel regard
jetez-vous sur la concurrence avec Fun Radio qui a introduit des
sons latinos depuis la crise du Covid-19 et la radio associative
CapSao qui se déploie sur le DAB+ ?
Jean-Éric Valli : Oui, nous regardons ce qui se passe en face. Pour
moi, Latina reste la plus légitime en musique latino. La
décision de Fun nous a bien sûr interrogée car c'est toujours
compliqué lorsque vous dirigez une radio thématique de voir une
radio musicale généraliste venir picorer une partie de votre
programmation musicale avec, pour commencer, les titres les plus
connus de votre playlist, des titres que vous avez participez à
faire connaitre. Après tenter des choses fait partie de la
vitalité de la radio mais il faut que ça reste dans les clous de
la convention de la station.
Le voice-track, un outil assumé mais travaillé…
Rappel : le voice-track (VT) est cette technique qui consiste
pour les animateurs à enregistrer leurs interventions qui sont
ensuite intégrées dans la programmation de l'antenne comme la
musique. En quelques heures, un animateur peut ainsi enregistrer
l'animation de plusieurs heures d'antenne. Cette technique
permet d'avoir une présence à l'antenne 7 jours sur 7 sans
contraintes humaines et pour des couts financiers moindre. Une
solution décriée par certains puristes ne jurant que par le
frisson du direct (ou des conditions proches du direct) mais qui
peut rester imperceptible par les auditeurs s'il est bien fait.
Une solution très utilisée dans les radios locales et régionales
qui n'ont pas les moyens des radios nationales. Quoique quelques
nationales y ont recours notamment le week-end…
Le Groupe 1981 assume l'utilisation de cette technique même s'il
ne le crie pas sur les toits, comme toutes les autres radios
pratiquantes d'ailleurs. Mais en étudiant les grilles des
programmes des radios du groupe, il apparaît que plusieurs
animateurs travaillent sur deux à trois radios en simultané.
Thomas Jovy : Chaque animateur a une radio de référence où il
travaille en direct. Pour ses prestations en VT, afin de
ne pas perturber les auditeurs, nous faisons en sorte qu'un
animateur qui est sur deux ou trois radios n'y soit pas à la
même heure et pas sur la même zone géographique.
Le directeur opérationnel me confie que certaines animateurs
changent parfois de prénom en changeant de radio pour des
raisons pratiques. C'est par exemple le cas de Marie qui coanime
la matinale de Latina mais devient Stéphanie sur Forum parce
qu'il y a déjà une Marie dans la grille des programmes. Ce n'est
pas exceptionnel dans les médias qu'une animateurs ou un
journalistes aient plusieurs employeurs. Regardez Bruno Guillon
qui en radio est sur Fun Radio et RTL ou Éric Jean-Jean qui est
sur RTL2 et RTL.
Jean-Éric Valli : Ce qui est bien aussi c'est que cela leur fait un
travail à temps plein et nous ça nous arrange, c'est
gagnant-gagnant !
Envie d'autres horizons géographiques ?
Peuleux : Vos radios sont concentrées
sur trois pôles géographiques (Orléans, Paris et Bordeaux),
n'avez-vous pas envie de visiter d'autres régions françaises ?
Jean-Éric Valli : Nous le faisons un peu avec nos radios nationales.
En termes de studios, il n'y aurait actuellement aucune
plus-value à créer d'autres pôles. Après se développer sur une
autre zone géographique avec une nouvelle radio, ce n'est pas
interdit mais il faut avoir une opportunité et des financements.
Et puis soyons honnêtes et pas hypocrites, il faudrait se lancer
avec une radio qui puisse être rapidement rentable parce que le
nerf de l'histoire reste l'argent. Mais nous sommes là avant
tout pour faire de la radio, pour nous amuser en faisant de la
radio. C'est toutefois un amusement sérieux. Dans le groupe,
nous n'avons pas eu un développement mathématique même si à un
moment il faut bien compter ses sous.
Pour une radio
souveraine et responsable
Dans l'esprit de Jean-Éric Valli, la radio est un média
souverain contrairement à Internet qui est apatride. La radio
est un média responsable avec des gens qui parlent et assument
ce qu'ils disent. La radio est un média humain et dans la
réalité, "on croise nos auditeurs dans la rue", un média qui
rentre dans nos vies.
Jean-Éric Valli : Les pouvoirs publics voient la radio comme un
élément culturel et en Culture, il ne faut pas parler argent.
Or, nos sociétés ne sont pas exemptes d'impôts et de charges
sociales au nom de la Culture. La radio a pour objectif de
partager avec le public des loisirs, de la musique, de
l'information, du contact humais… Des choses de valeur et nous
ne pouvons le faire bien qu'en étant libres. Or nous avons des
contraintes comme des quotas musicaux. Si la Constitution nous
garantit la liberté d'expression, c'est l'argent qui nous
garantit notre liberté d'action en nous permettant de ne
dépendre que de nous. Notre groupe n'a pas de subvention par
exemple. Or l'équation économique n'est pas toujours prise en
compte dans cet appel à la liberté. Personnellement je suis
choqué par ces médias comme Libération ou Le Monde qui sont la
propriété de milliardaires qui se disent indépendant
philosophiquement. Il y a une sorte d'autocensure en interne qui
se crée souvent… Notamment par peur de perdre son travail, peur
qui s'installe dans les habitudes… Nous sommes arrivés à un
appauvrissement des médias français qui n'ont trouvé comme
solution de sauvegarde que de se raccrocher de grands groupes
industriels. Pour moi, ces médias ne sont plus totalement
libres. Même si tous les propriétaires ne sont pas sur le dos de
la rédaction tous les matins, il peut y avoir quand même des
intérêts divergents entre le média et l'industrie.
Vous l'aurez compris, Jean-Éric Valli aime la Radio par-dessus tout et n'a
pas honte de dire que l'argent est le nerf de la guerre pour
proposer aux auditeurs des programmes libres et responsables. Il
n'hésite pas non plus à secouer le cocotier pour que les
pouvoirs publics comprennent la réalité du terrain qui multiplie
les contraintes réglementaires alors qu'Internet joue sans avoir
à suivre ses mêmes règles…. Mais aussi pour dire que les médias
sont un monde à part en lien avec la Culture et pas un produit
culturel parmi d'autres.
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