Peuleux | Le monde de Spirou et Fantasio

 ENTRETIEN AVEC... JEAN-ÉRIC VALLI / GROUPE 1981 | 20/04/2023

Président-fondateur du Groupe 1981, premier groupe de radios indépendant avec dix radios thématiques, Jean-Éric Valli est aussi le président du groupement les Indés Radio et de la plateforme Radioplayer. Rencontre avec un homme passionné de Radio mais toujours lucide sur le monde médiatique…

 

Après avoir visité les locaux du Groupe 1981 à Issy-les-Moulineaux, j'ai longuement discuté avec Jean-Éric Valli en compagnie de Thomas Jovy, directeur opérationnel du groupe. Une discussion tous azimuts autour du groupe et de ses radios mais aussi du média radio en général.

Mais avant tout, faisons un petit rappel sur le Groupe 1981. Le groupe compte aujourd'hui dix radios thématiques : trois à vocation nationale (Ado, Latina, Ouï FM), cinq à vocation régionale (BlackBox, Forum, Vibration, Voltage et Wit FM) et deux diffusées uniquement sur le DAB+ parisien (Collector Radio et Radio Life). Ces radios sont réparties sur trois sites : Orléans avec le siège social du groupe, Issy-les-Moulineaux au sud-ouest de Paris et Bègles dans l'agglomération de Bordeaux-.

  

Tour d'horizon des différentes radios du groupe

 

Ado

Peuleux : Depuis août 2022, Ado est redevenue Ado. Quel est votre bilan 8 mois plus tard ?

Jean-Éric Valli : Swigg visait un public plus jeune avec du rap francophone alors qu'Ado à un public un peu plus adulte avec du RNB plus varié et une ambiance plus gold. On verra dans les audiences à venir mais on a effectivement ressenti une satisfaction du public. A confirmer dans les chiffres.

Thomas Jovy : Des artistes qui ont connu "le Ado d'avant 2017" et sont devenus artistes avec cette radio m'ont dit être heureux de retrouver "le Ado de leur enfance" même s'il y a quelques nouveautés. Sans être dans la caricature, ils parlent du "nouveau Ado" comme étant leur Nostalgie version RNB.

 

Peuleux : Dans la région de Bordeaux, BlackBox propose un format proche de celui d'Ado. Est-ce à dire qu'Ado n'ira jamais à Bordeaux pour éviter une concurrence sorale ?

Jean-Éric Valli : Au contraire, nous aimerions bien y avoir une fréquence. Au-delà de son format musical, BlackBox a une dimension importante dans l'information locale. D'ailleurs, nous pourrions développer BlackBox à un niveau régional

 

Collector Radio et Radio Life.

Peuleux : Lorsque vous avez racheté Ouï FM à Arthur, vous avez aussi acquis Collector Radio et Radio Life. Depuis, j'ai l'impression que rien n'a bougé avec que cela soit en termes de zone de diffusion ou du côté des programmes.

Jean-Éric Valli : Oui, elles sont aujourd'hui comme nous les avons rachetés. Elles sont des radios pures DAB+ donc les investissements restent restreints car au vu du nombre de récepteurs DAB+, il y a encore peu d'auditeurs potentiels.

 

Ouvrons une parenthèse pour parler du DAB+ :

Le président du Groupe 1981 m'explique qu'il a 6 millions de postes compatibles DAB+ dans les logements et voitures en France contre 150 millions de postes FM. Même s'il se vend 7 millions de postes DAB+ par an, ce qui est un niveau qu'il juge bon, le poste radio fait aussi face à la concurrence des applications mobiles, des enceintes connectées et autres boxes.

Jean-Éric Valli : En Angleterre et dans d'autres pays européens passés au DAB depuis longtemps, le DAB domine le digital ce qui est encourageant. Le DAB domine parce qu'un poste de radio reste peu cher à l'achat, gratuit et facile d'utilisation, anonyme (pas de cookie) et pas cher alors que le digital demande un ordinateur ou un smartphone très cher à l'achat, avec la nécessite d'installer une application. Et le tout n'est possible qu'à condition de payer un abonnement…

 

Forum et Radio Collector

Peuleux : La radio régionale Forum a pour slogan "Radio collector" qui est le nom d'une autre radio du groupe, pourquoi ?

Jean-Éric Valli : Pour nous, ce n'est pas gênant car Radio Collector reste confidentielle en audience et n'est dispo qu'à Paris tandis que Forum est diffusée essentiellement en Région Centre-Val de Loire et en Poitou. Et "Radio collector" résume parfaitement le format musical de Forum aujourd'hui.

Peuleux : Vous n'avez pas envisagé de fusionner Forum et Radio Collector ?

Jean-Éric Valli : La question s'est posée mais c'est délicat. Forum a un nom historique, qui a un sens en Région Centre et en Poitou. Mais la radio Forum d'aujourd'hui n'est plus depuis longtemps un forum d'échange comme son nom pourrait laisser à penser. Serait-il alors pertinent que Radio Collector devienne Forum, nom sans historique dans l'esprit des parisiens ? Et alors que son nom est pertinent puisqu'il résume son format musical… Je n'en suis pas sûr. En plus, il n'est pas prévu que Forum - qui a une identité régionale - émette sur Paris. Entre un nom historique pour Forum et un nom qui est un concept pour Radio Collector, restons ainsi pour l'heure, restons simple.

 

Peuleux : Forum est traditionnellement implantée en Région Centre Val de Loire et Poitou-Charentes. Elle a un pied dans le Limousin en FM et a désormais un pied à Nantes avec le DAB+. Forum va-t-elle s'étendre encore un peu ?

Jean-Éric Valli : Nous souhaitons développer Forum en FM dans la région Pays de la Loire car il y a une continuité en termes d'ambiance régionale avec la Région Centre. Alors, dès qu'il y a des fréquences disponibles, nous postulons. Et des fois, nous sollicitons des fréquences pour des radios qui sont cohérentes sur le secteur ouvert à l'appel à candidatures lancé par l'Arcom mais qui ne sont pas dans nos priorités de développement. On joue un peu au "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras". La réalité des attributions fait nous avons parfois des régions cohérentes et parfois des régions morcelées. Et le DAB+ vient comme un nouveau potentiel de développement…

 

Ouvrons une parenthèse sur la radio locale face à la radio nationale et Internet

Peuleux ! Envisagez-vous à terme un décrochage local à Nantes ?

Jean-Éric Valli : Je ne suis pas dogmatique sur le sujet des décrochages. Je préfère avant tout avoir un programme général cohérent au niveau régional ou plurirégional. Il faut savoir que sur un bassin de population inférieur à 6 millions de personnes, il n'y a pas d'obligation légale à faire un décrochage. Souvent, l'Arcom le demande mais il n'y a pas d'obligation. Nos décideurs ont du mal à percevoir la réalité du terrain entre la radio locale et la radio nationale... Donc à visualiser la radio régionale. Or si c'est intéressant de faire un décrochage local pour parler de l'actualité locale, il y a des secteurs où la matière première n'est pas suffisante pour alimenter ce décrochage.

Pour Jean-Éric Valli, il ne faut pas enfermer les radios dans une typologie où les radios locales auraient "l'immense mission" de porter l'information locale et de découvrir les nouveaux talents tandis que les super radios nationales diffuseraient le top de la crème de la musique sans parler d'information. Pour lui, il faut un équilibre ou bien des compensations. De son point de vue, il en va de même que pour la musique où il y a des quotas à la radio et rien sur Internet, "dans la vraie vie ce n'est pas possible".

Jean-Éric Valli : Il faut préserver la radio qui est un média responsable (notamment par rapport à l'irresponsabilité des réseaux sociaux) et très vivant en lien avec les gens. Nous avons parfois le sentiment que le système privilégie Internet dont le fonds de commerce est l'argent, la division et les préjugés.

 

Latina

Peuleux : Latina se porte bien en Ile-de-France et se développe au national. Quel regard jetez-vous sur la concurrence avec Fun Radio qui a introduit des sons latinos depuis la crise du Covid-19 et la radio associative CapSao qui se déploie sur le DAB+ ?

Jean-Éric Valli : Oui, nous regardons ce qui se passe en face. Pour moi, Latina reste la plus légitime en musique latino. La décision de Fun nous a bien sûr interrogée car c'est toujours compliqué lorsque vous dirigez une radio thématique de voir une radio musicale généraliste venir picorer une partie de votre programmation musicale avec, pour commencer, les titres les plus connus de votre playlist, des titres que vous avez participez à faire connaitre. Après tenter des choses fait partie de la vitalité de la radio mais il faut que ça reste dans les clous de la convention de la station.

 

 

Le voice-track, un outil assumé mais travaillé…

 

Rappel : le voice-track (VT) est cette technique qui consiste pour les animateurs à enregistrer leurs interventions qui sont ensuite intégrées dans la programmation de l'antenne comme la musique. En quelques heures, un animateur peut ainsi enregistrer l'animation de plusieurs heures d'antenne. Cette technique permet d'avoir une présence à l'antenne 7 jours sur 7 sans contraintes humaines et pour des couts financiers moindre. Une solution décriée par certains puristes ne jurant que par le frisson du direct (ou des conditions proches du direct) mais qui peut rester imperceptible par les auditeurs s'il est bien fait. Une solution très utilisée dans les radios locales et régionales qui n'ont pas les moyens des radios nationales. Quoique quelques nationales y ont recours notamment le week-end…

 

Le Groupe 1981 assume l'utilisation de cette technique même s'il ne le crie pas sur les toits, comme toutes les autres radios pratiquantes d'ailleurs. Mais en étudiant les grilles des programmes des radios du groupe, il apparaît que plusieurs animateurs travaillent sur deux à trois radios en simultané.

Thomas Jovy : Chaque animateur a une radio de référence où il travaille en direct. Pour ses prestations en VT, afin de ne pas perturber les auditeurs, nous faisons en sorte qu'un animateur qui est sur deux ou trois radios n'y soit pas à la même heure et pas sur la même zone géographique.

Le directeur opérationnel me confie que certaines animateurs changent parfois de prénom en changeant de radio pour des raisons pratiques. C'est par exemple le cas de Marie qui coanime la matinale de Latina mais devient Stéphanie sur Forum parce qu'il y a déjà une Marie dans la grille des programmes. Ce n'est pas exceptionnel dans les médias qu'une animateurs ou un journalistes aient plusieurs employeurs. Regardez Bruno Guillon qui en radio est sur Fun Radio et RTL ou Éric Jean-Jean qui est sur RTL2 et RTL.



Jean-Éric Valli : Ce qui est bien aussi c'est que cela leur fait un travail à temps plein et nous ça nous arrange, c'est gagnant-gagnant !


Envie d'autres horizons géographiques ?

 

Peuleux : Vos radios sont concentrées sur trois pôles géographiques (Orléans, Paris et Bordeaux), n'avez-vous pas envie de visiter d'autres régions françaises ?

Jean-Éric Valli : Nous le faisons un peu avec nos radios nationales. En termes de studios, il n'y aurait actuellement aucune plus-value à créer d'autres pôles. Après se développer sur une autre zone géographique avec une nouvelle radio, ce n'est pas interdit mais il faut avoir une opportunité et des financements. Et puis soyons honnêtes et pas hypocrites, il faudrait se lancer avec une radio qui puisse être rapidement rentable parce que le nerf de l'histoire reste l'argent. Mais nous sommes là avant tout pour faire de la radio, pour nous amuser en faisant de la radio. C'est toutefois un amusement sérieux. Dans le groupe, nous n'avons pas eu un développement mathématique même si à un moment il faut bien compter ses sous.

 

Pour une radio souveraine et responsable

 

Dans l'esprit de Jean-Éric Valli, la radio est un média souverain contrairement à Internet qui est apatride. La radio est un média responsable avec des gens qui parlent et assument ce qu'ils disent. La radio est un média humain et dans la réalité, "on croise nos auditeurs dans la rue", un média qui rentre dans nos vies.

Jean-Éric Valli : Les pouvoirs publics voient la radio comme un élément culturel et en Culture, il ne faut pas parler argent. Or, nos sociétés ne sont pas exemptes d'impôts et de charges sociales au nom de la Culture. La radio a pour objectif de partager avec le public des loisirs, de la musique, de l'information, du contact humais… Des choses de valeur et nous ne pouvons le faire bien qu'en étant libres. Or nous avons des contraintes comme des quotas musicaux. Si la Constitution nous garantit la liberté d'expression, c'est l'argent qui nous garantit notre liberté d'action en nous permettant de ne dépendre que de nous. Notre groupe n'a pas de subvention par exemple. Or l'équation économique n'est pas toujours prise en compte dans cet appel à la liberté. Personnellement je suis choqué par ces médias comme Libération ou Le Monde qui sont la propriété de milliardaires qui se disent indépendant philosophiquement. Il y a une sorte d'autocensure en interne qui se crée souvent… Notamment par peur de perdre son travail, peur qui s'installe dans les habitudes… Nous sommes arrivés à un appauvrissement des médias français qui n'ont trouvé comme solution de sauvegarde que de se raccrocher de grands groupes industriels. Pour moi, ces médias ne sont plus totalement libres. Même si tous les propriétaires ne sont pas sur le dos de la rédaction tous les matins, il peut y avoir quand même des intérêts divergents entre le média et l'industrie.

 

Vous l'aurez compris, Jean-Éric Valli aime la Radio par-dessus tout et n'a pas honte de dire que l'argent est le nerf de la guerre pour proposer aux auditeurs des programmes libres et responsables. Il n'hésite pas non plus à secouer le cocotier pour que les pouvoirs publics comprennent la réalité du terrain qui multiplie les contraintes réglementaires alors qu'Internet joue sans avoir à suivre ses mêmes règles…. Mais aussi pour dire que les médias sont un monde à part en lien avec la Culture et pas un produit culturel parmi d'autres. 

 

 

Remerciements : Merci à Jean-Éric Valli pour l'organisation de ce rendez-vous, son temps, nos échanges et sa franchise. Merci à Thomas Jovy de son accueil.

Photos : Peuleux, Groupe 1981

 

Pour aller plus loin...


Entretien avec...
Jean-Éric Valli (2019)

Dans les coulisses du...
Groupe 1981 à Issy

Entretien avec...
Nicolas Lespaule

Entretien avec...
Marie
 

Ado

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Forum
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dernière mise à jour de cette fiche le 17/05/2023


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